Un néologisme comme la langue allemande en crée chaque jour, "Fachkräfteeinwanderungsgesetz", désigne la loi fédérale sur l’immigration de travailleurs qualifiés. Adoptée après trente ans de discussions, cette loi entre en vigueur le 1er mars 2020.
Le social-démocrate Hubertus Heil, ministre du travail et des affaires sociales, a réussi à obtenir un consensus redouté par les nationalistes mais très attendu par les milieux économiques dans un contexte de faible chômage (5,3% en février 2020, avec de fortes disparités régionales : de 3,2% en Bavière à 10,2% à Brême).
La loi permet l’attribution chaque année de 25.000 visas de travail sans avoir à démontrer que le poste a été refusé par un ressortissant de l’Union Européenne et autorise donc l’Allemagne à participer, comme le Canada ou l’Australie, à la compétition mondiale pour attirer les talents.
Les entreprises allemandes souffrent du nombre durablement élevé de postes vacants (689.000 en février 2020) et les réservoirs classiques de main d’œuvre sont épuisés. Le taux de travail des femmes et des seniors est élevé, les programmes de réinsertion des chômeurs de longue durée (714.000) s’essoufflent et les pays de l’UE qui ont grandement contribué ces dernières années à la diminution des tensions sur le marché du travail connaissent eux-mêmes une situation favorable. Ainsi les taux de chômage de juillet 2019 étaient de 2,1% en République tchèque, 3,3% en Pologne, 3,5% en Hongrie, 3,9% en Roumanie et 4,5% en Bulgarie et les conséquences du «human capital flight» sur les pays partenaires de l'UE ne peuvent plus être ignorées. Dans le même temps, l’Allemagne n’est pas une destination attractive pour les Grecs (17% de chômage) ou les Espagnols (14% de chômage).
Pour les acheteurs présents en Allemagne, la nouvelle politique devrait conduire à résoudre certains goulots d’étranglement mais aussi à conserver en Allemagne des productions qui, sinon, auraient immanquablement été délocalisées. Sur le plan de l’innovation, cela risque d'alléger une contrainte favorable au développement de la robotisation, un des secteurs d'avenir du pays.
Dans le même temps, l’Allemagne consolide sa position comme 1er marché de l’UE. Fin 2019, le nouveau record de population a été de 83,2 millions d’habitants, avec toutefois une croissance très modérée en 2019 (+200.000).
La loi offre surtout un avantage au tissu des PME et ETI, qui, à la différence des multinationales, ne peuvent pas recruter dans chaque filiale avant de gérer des plans de carrière comprenant des mobilités entre filiales ou de déplacer la charge de travail au sein du groupe.
Enfin, cette loi impose à l’Allemagne de s’interroger sur le degré d’attractivité qu’elle exerce sur les salariés étrangers. Les bonnes conditions de travail et de rémunération suffisent-elles à équilibrer la complexité administrative (demande de visa, titre de séjour, reconnaissance des diplômes, validation du permis de conduire), le manque de logements dans les grandes villes, le poids des prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales sont parmi les plus élevés de l’OCDE) et les actes xénophobes qui sont autant de freins à l’installation de travailleurs étrangers.
Pour en savoir plus, voici le lien vers la version francophone du site de la campagne «Make it in Germany» : https://www.make-it-in-germany.com/fr/
Sources statistiques : Bundesagentur für Arbeit, Destatis et Toute l’Europe.
[1er mars 2020]